PRATIQUE RAISONNEE DU SO2 EN OENOLOGIE

J. BLOUIN

2.4 Effets organoleptiques

2.4.1. SO2 et couleur des vins

L'effet décolorant du SO2, exploité depuis des millénaires pour les tissus, est directement observable sur moûts et vins, blancs et rouges. Cet effet résulte de la réduction chimique des composés bruns issu des oxydations (Exemple : quinones) et/ou un changement de structure des anthocyanes, des tanins. Ces effets sont progressifs, plus ou moins rapides et réversibles : le SO2 joue ainsi le rôle de « protecteur de la couleur ».

Anthocyanes et SO2, sous la forme H SO3 -, forment une combinaison incolore en équilibre avec une forme vivement colorée en roue et une forme colorée en mauve, selon les taux de SO2 et le pH.

Lorsque le SO2 disparaît, par oxydation ou par combinaison avec un autre composé plus réactif (constante de dissociation vis à vis du SO2 plus faible) la coloration initiale revient. Le cas usuel est la réaction avec l'éthanal se formant à partir de l'éthanol , par réaction avec oxygène et polyphénols.

Remarque : Le SO2 agit indirectement sur la couleur en bloquant ou détruisant les activités oxydasiques et empêchant la destruction des polyphénols.

COULEUR ET EXTRACTION DE COULEUR

Le sulfitage des vendanges facilite et accélère la destruction des parois cellulaires des pellicules des raisins et la libération des anthocyanes – et polyphénols – des vacuoles. Le moût, puis le vin, est plus coloré. Le mécanisme a été proposé pour obtenir des vins rosés plus colorés (« macération sulfitique ») et utilisé pour l'extraction massive des anthocyanes destinées à la production d'oenocyanine par sulfitage massif, macération et désulfitage.

2.4.2 «  Odeur de soufre »

Le SO2 possède une odeur caractéristique, malencontreusement appelée « odeur de soufre », alors que le soufre seul est très peu odorant. Cette odeur est directement proportionnelle au taux de gaz SO2 dans l'air inspiré, lui même proportionnel au taux d'acide sulfureux H2SO3 dans le vin (selon la loi de Henry sur les équilibres entre gaz dissous et gaz libre). Le seuil de perception a été estimé à 2 mg de SO2 sous forme H2SO3/L vin. Cette valeur semble trop élevée. Les valeurs limites de 20-40-60 mg SO2 libre /L vin restent très imprécises. Le seuil de perception pratique est plus bas pour les vins de faible intensité aromatique, plus élevé pour les vins rouges, très variable selon les individus (sensibilité personnelle, entraînement…) et le contexte psychologique.

Cette odeur spécifique déplaisante est un inconvénient évident, elle constitue aussi un instrument de limitation de l'usage excessif.

2.4.3 Blocage des aldéhydes

En l'absence de SO2 libre, l'éthanal des vins issus de la fermentation alcoolique et/ou de l'oxydation de l'alcool manifeste son odeur spécifique d' « évent », de pomme trop mûre, « d'oxydation »…désagréable et rédhibitoire pour la quasi totalité des vins. Ce blocage spécifique de l'éthanal et autres aldéhydes volatils est irremplaçable et s'impose à tous les vins, à l'exclusion des rares. vins dits « oxydatifs » : certains vins de Jerez, Porto, banyuls, Madère…

Remarque : Cette nécessité de bloquer les aldéhydes explique l'impossibilité pratique d'élaborer des « vins sans SO2 ».

2.4.4. Protection des arômes et de la couleur

Les propriétés antioxydantes et antioxydasiques expliquent la nécessité de teneur suffisante en SO2 pour éviter la dégradation de nombreux composés aromatiques et/ou phénoliques sensibles à l'oxydation (§ 2.2, 2.4.1).

A contrario, le taux de SO2 doit être suffisant bas, ou nul, dans l'élaboration de vins de type rancio où on accélère parfois les oxydations par assemblage avec des vins ayant conservés une activité légère laccase et activant ces transformations, en conditions contrôlées.

2.5 Effets physiologiques

Comme tout autre produit, le SO2 a une certaine toxicité variable selon la dose et les individus et entraînant des doses maximales autorisées. La toxicité est définie par la DL.50 (= dose létale, en mg/kg de poids, entraînant la mort de 50% des animaux étudiés). La toxicité chronique est définie par le DES (= Doses Sans Effet, en mg/kg de poids /jour) qui sert à déterminer la DJA (= Dose Journalière Admissible , en mg/kg de poids/jour) par application d'un coefficient de sécurité de 100 à 1000, voire 5000.

Le « SO2 œnologique » présente des risques par inhalation et/ou ingestion.

SO2 inhalé

L'activité humaine (minerais soufrés, charbon, hydrocarbures…) complétée par les volcans, les eaux sulfureuses libère chaque année de grandes quantités de SO2 (150 à 200 millions de tonnes dans le monde) aboutit à des taux atmosphériques de 0,03 ppb à 50 ppm. Habituellement négligeables, ces teneurs peuvent provoquer éternuements, irritations, rougissements, maux de tête mais non de véritables allergies. Le SO2 n'induit pas la formation des immunoglobulines caractéristiques des allergies.

Ces teneurs acceptables en SO2 atmosphérique sont encadrées par diverses normes sensorielles, techniques et/ou réglementaires indiquées dans le tableau 2.5-1.

Dans la pratique des chais , il faut noter que le seuil de détection olfactive (0,5 mg/L air) est un peu inférieur au seuil d'alerte sanitaire (0,6 mg/L) et aux valeurs limites d'exposition . Il ne faut cependant pas sous-estimer les risques d'accidents graves par exposition ponctuelle à des teneurs très élevées pouvant aller jusqu'à la cécité, la mort. Les risques aigus sont très rares (Exemple : fuite brutale de récipients contenus du SO2 gazeux) mais très élevés ; les risques semi-chroniques sont plus fréquents avec les solutions sulfureuses libérant du SO2 gazeux, et exigeants des précautions d'emploi minimales .

Remarque : L'exposition prolongée à des teneurs élevées en SO2 peuvent entraîner des grillures des végétaux, avec pertes de récolte (Exemple : région de Lacq)

SO2 ingéré

Les sulfites sont utilisés dans de nombreux aliments – et certains médicaments- pour prévenir altérations microbiennes et/ou oxydations ; le vin constitue la principale source de SO2 dans l'alimentation « moyenne ».La toxicité aigüe définie par une DL.50 de 1,5 g/kg est à peu près identique à celle du sel de cuisine ou du bicarbonate de sodium, soit la catégorie des produits « dangereux – peu dangereux » selon la classification de l'OMS. La toxicité chronique est définie par la DJA de 0,35 mg/kg/jour, soit 24,5 mg/jour pour une personne de 70 kg, à partir d'un coefficient de sécurité de 100 qui, appliqué au sel de cuisine consommé sur la la base moyenne de 1-2 g/jour devrait montrer une inocuité totale à la dose de 70-140 g/jour !

Les effets physiologiques du SO2 se manifestent par la destruction de la thiamine vers pH 6,0 mais nulle au pH –2-3 de l'estomac, un effet mutagène à très forte concentration (64 g/L) seulement in vitro. Il n'a été observé aucun effet tératogène ou cancérigène et il y a diminution de l'activité allergisante de l'histamine. Le SO2 est rapidement détoxifié par transformation en sulfates. L'organisme métabolise chaque jour l'ensemble des composés soufrés (acides aminés…) pour une quantité équivalente à 1,5-2 g de SO2 /jour, sauf pour une personne sur 100000 carencée en sulfite-oxydases (Enquête Australie-Nouvelle Zélande). Le « mal de tête » souvent signalé n'est pas mis en évidence de façon significative par les enquêtes épidémiologiques (USA, Australie, Nouvelle Zélande).

2.6 SO2 endogène

En l'absence de tout sulfitage des moûts, les vins contiennent du SO2, dit « endogène ». Le phénomène est connu depuis longtemps (Haas-1889) et largement étudié depuis une cinquantaine d'années (Kielhofer-1958), particulièrement en pays viticoles froids.

Les systèmes enzymatiques de la levure transforment le soufre élémentaire S – peu abondant-, les acides aminés soufrés (cystéine, cystine, méthionine, glutathion) et leurs dérivés, les sulfates. Il y a production d'autres acides aminés, de sulfures et autres composés volatils odorants, de sulfates et de sulfites. La production de SO2 varie de quelques mg/L à 30-40 mg/L et plus de 150 mg/L dans certaines situations. Cette production est proportionnelle à la consommation de sucres. Elle est plus importante à basse température, en anaérobiose, en milieu fermentaire très limpide – donc pour les moûts blancs très débourbés - ainsi que en cas de carence en méthionine, cystéine. Elle varie avec les souches de levures, elle est importante avec les levures SO2-sensibles normalement éliminées par le sulfitage des moûts.

On limite cette production de SO2 endogène pouvant être importante et gênante au delà de 20-40 mg SO2/L, par exemple pour la prise de mousse des vis effervescents.

Dans les situations à risques (moûts blancs, très limpides, en situations froides), on a des teneurs limitées et sans risques en SO2 endogène avec un sulfitage initial normal, l'utilisation de Levures Sèches Actives (LSA) sélectionnées pour leur faible production de SO2. La correction des éventuelles carences est aléatoire, interdite et habituellement inutile.