PRATIQUE RAISONNEE DU SO2 EN OENOLOGIE

J. BLOUIN

3) COMPOSES SOUFRES DES MOUTS ET VINS

L'essentiel de cette brochure est consacré au « SO2 ». Cette expression imparfaite recouvre ici les différentes formes du « dioxyde de soufre » - anciennement anhydride sulfureux ou, moins exactement acide sulfureux . Le mot « soufre » est réservé à l'élément soufre (S), tel le produit utilisé en viticulture, arboriculture…, par exemple pour lutter contre les oïdiums. Pour mieux situer le « SO2 œnologique », il convient de le situer dans la vaste famille des composés soufrés.

3.1. Le soufre

Le soufre S représente 0,05% de l'écorce terrestre, à l'état libre S ou sous forme de sulfures minéraux, d'hydrocarbures, de charbons. Il est un des neuf corps simples connus de l'Antiquité à l'état libre. Tout le monde connaît ce corps jaune, présent sous trois formes cristallines (a,ß,? ), brûlant facilement à l'air en dégageant l' « odeur de soufre » caractéristique due au dioxyde de soufre SO2.

Il est utilisé en viticulture depuis 1829 (USA) et 1850 (France) pour lutter contre l'oïdium de la vigne, et de façon plus limitée pour lutter contre l'excoriose, l'acariose, l'érinose…L'usage continu, à raison de 50-100 kg par hectare pendant plus d'un siècle, a entraîné une forte acidification des sols pouvant devenir gênante en sols non calcaires, pauvres en argile…car la vigne exporte seulement 5-6 kg de soufre /hectare/an.

La présence de soufre S dans les moûts et vins, comme résidu de traitements fongicides, est très faible ou nulle.

3.2. Les différents groupes de composés soufrés

Le soufre est engagé dans de nombreux composés minéraux et organiques. Les formes minérales (Figure 3.2-1) peuvent être groupées selon leur nombre d'oxydation allant de –2 (forme la plus réduite) à +6 (forme la plus oxydée) et les formes organiques selon la complexité de la molécule (Figure 3.2-2). Moûts et vins ne contiennent que certaines formes dont certaines à doses très faibles ont un rôle organoleptique , positif ou négatif, très important.

Figure 3.2-1 : Principaux composés soufrés minéraux (d'après MAUJEAN-2002) : en rouge les formes présentes dans le vin

 

Figure 3.2-2 : Principaux composés soufrés organiques (d'après MAUJEAN-2002)

Remarque : Cette diversité des composés soufrés est trop souvent mal perçue et/ou mal exprimée , telles certaines confusions entre mercaptan/acide sulfurique/acide sulfureux.

3.3. Les composés soufrés œnologiques – non SO2

A l'exception des sulfates les composés soufrés – non SO2 sont des composés organiques présents à doses très faibles (quelques nanogrammes à quelques microgrammes par litre), souvent très odorants. Ils peuvent être regroupés en  arômes de « réduction » , de « grillé » ou « variétaux ».

3.2.1. Les arômes variétaux soufrés

Des études récentes (1980-90, Faculté Œnologie Bordeaux)) ont montré le rôle très important de nombreux composés soufrés, ayant une fonction thiol, dans l'arôme de divers fruits (pamplemousse, cassis, fruit de la passion, goyave…) puis dans le raisin.

Le cépage Sauvignon contient, au moins, cinq composés volatils à fonction thiols à doses très faibles mais très odorants (Figure 3.3.3-1).

Fig 3-3-3-1 : Thiols volatiles de l'arôme de Sauvignon

Ils participent fortement à l'arôme caractéristique de cépage utilisant souvent les descripteurs tels que «  buis, genêt, voire matou, pipi de chat …» plus ou moins agréables mais aussi «  agrume, citron, pamplemousse, fruit exotique… » plus plaisants correspondants précisément aux composés identifiés.

LES THIOLS VOLATILS

Les thiols sont des composés soufrés, dérivés des alcools, possédant une fonction thiol de formule générale R – SH, où R représente un alcool plus ou moins substitué.

Ces composés sont généralement volatils, très oxydables, très réactifs avec divers métaux (mercure, argent, cuivre…).

Beaucoup sont d'odeurs nauséabondes de type « mercaptan », œuf pourri, choux… mais certains sont d'odeurs très agréables .

Plus exactement, ces composés variétaux se trouvent dans le raisin et le moût sous forme de précurseurs non odorants (complexe cystéine-composé thiol). La teneur en précurseur de la 4-MMP décroît lors de la maturation et elle peut devenir trop faible en cas de surmaturation, en zones très précoces où elle doit être surveillée. Le raisin de Sauvignon est peu typé, sauf après mastication de la pellicule pendant quelques secondes, probablement par libération des composés odorants sous l'action des enzymes salivaires. Cette technique simple est recommandée pour suivre la « maturité aromatique » du Sauvignon, et des autres cépages. Le phénomène est général au cours de la fermentation alcoolique par les enzymes levuriennes d'activités très variables selon les souches. On a ainsi sélectionné des souches de Levures Sèches Actives (LSA) plus efficaces pour développer la « typicité Sauvignon » en plus de leurs autres arômes fermentaires .

Les vins de Sauvignon peuvent être très aromatiques, selon les clones, les conditions culturales, le rendement, le climat, le degré de maturité. On trouve aussi certains de ces thiols dans les vins de Merlot, de Cabernet Sauvignon à des taux pouvant être au-dessus du seuil de perception, notamment dans des rosés et clairets.

Ces arômes variétaux sont cependant fragiles. Ils sont très sensibles à la présence de cuivre – réactif classique des thiols- sur la vigne, les raisins. Les traitements phytosanitaires cupriques sont à prohiber, au moins après la nouaison. Ils sont également très sensibles aux oxydations excessives, sans protection par le SO2, et tout particulièrement par mélange avec des composés phénoliques très oxydés, riches en quinones, tels les fins de pressurage des vins blancs. Pour cette raison, le traitement des moûts par hyperoxygénation (saturation rapide par l'oxygène dès l'extraction, avant tout sulfitage) est fortement déconseillé pour les moûts de Sauvignon.

3.2.2. Les composés fermentaires soufrés

Le développement des levures s'accompagne d'une importante formation de composés soufrés plus ou moins volatils, à partir des acides aminés soufrés du raisin ainsi que des additifs soufrés tels que pesticides (soufre et beaucoup de composés contenant du soufre) et dioxyde de soufre. Il s'agit de composés généralement très odorants (seuils de perception très faibles, de quelques µg à quelques ng/L), souvent d'odeurs peu agréables (œuf pourri, choux, ail…) provoquant le caractère général d' « odeur de réduit », de « bock ». Une partie importante est entraînée par le gaz carbonique de fermentation et se perçoit dans les cuviers ; une autre fraction reste dans le vin et participe à l'arôme général de façon pouvant être agréable dans l'odeur globale. La figure 3.2.2-1 présente une liste de ces composés ayant un « indice aromatique » (= teneur dans vin / seuil de perception ) supérieur à 1 , établi à partir de travaux divers pouvant faire apparaître des différences importantes (descripteurs, seuils de perception selon le milieu…).

 

Descripteur

Indice Aromatique

acétate de thio éthyle

brûlé, sulfureux

t-6

acétate de thio méthyle

fromage, végétaux pourris

t-4

acétyl-2 thiazoline -2

riz, pop corn

t-1000

acide méthyl-3-propionique

grillé, rancio

t-3

benzothiazole

caoutchouc

t-6

disulfure de diméthyle

coing, asperge

t-2

éthane thiol

oignon

t-25

furane méthane thiol -2

café

t-1000

hydrogène sulfuré

œuf pourri

t-20

mercapto-2- éthanol

caoutchouc brûlé, basse cour

t-1000

méthane thiol

croupi

t-15

méthyl thio-2- éthanol

chou leur

t-1

méthyl-2- tétra hydro thiophènone

"gaz"

t-2

sulfure de diméthyle

coing, asparagine, truffe

t-2

d'après ANOCIBAR, BERTRAND, FLANZY, LAVIGNE, de REVEL

t= traces

 

 

Figure 3.2-2-1 :Quelques composés fermentaires soufrés

Ces composés sont plus abondants en conditions réductrices -en l'absence d'oxygène- en présence des lies (qui consomment l'oxygène) ; ils sont oxydés, en perdant leurs caractères « de réduit », en présence d'air (Ex : soutirages à l'air, injection d'oxygène…). Dans les cas plus difficiles il peut être nécessaire d'apporter des traces de cuivre : on utilisait autrefois le passage sur la tournure de cuivre, il est plus aisé d'ajouter de très faibles quantités contrôlées de sulfate de cuivre (environ 1 mg/L, soit dix fois moins que la quantité maximale autorisée). On a obtenu des résultats comparables avec l'argent, le palladium. Dans tous les cas, la dégustation attentive et fréquente, surtout pour les vins jeunes, dès la fermentation, est nécessaire pour intervenir le plus tôt possible, avant apparition d'odeurs tenaces dues à des composés peu volatils. A l'inverse, des aérations trop poussées sont défavorables au maintien et au bon développement des arômes de type fruité.

3.2.3. Les composés soufrés d' « élevage »

Discrets, et mal identifiés, dans les vins blancs bus jeunes et les vins rouges élevés en cuves, les arômes d'élevage sont plus intenses, et mieux connus, sur les vins « spéciaux » tels que les VDN-VDL. On y trouve quelques composés « soufrés » participant aux odeurs de « grillé » généralement appréciées (Figure 3.2.3-1), tel le furfuryl thiol , composé soufré à odeur de café torréfié se développant en barrique sans provenir directement du bois. Il peut atteindre un indice aromatique (concentration / seuil de perception) de 50 à 100, 5 ou 10 fois plus intense en barrique neuve.

Nom

Descripteur

acétate de 2- mercapto éthanol

grillé

acétate de 3- mercapto propanol

grillé

acétate de 3- méthyl thio propionique

grillé

allyl-4- syringol

 

furfuryl thiol

café torréfié

d'après RIBEREAU-GAYON, FLANZY, CHATONNET, VIVAS

Figure 3.2.2-2 : Composés soufrés de l'arôme d ‘élevage